La science face aux obscurantismes 1/3

Par Faouzia Farida CHARFI

Depuis les années 1970, et surtout suite à la révolution iranienne, le mouvement de l’extrémisme religieux s’est renforcé dans les pays musulmans avec des conséquences graves au niveau de la perception de la science par les étudiants islamistes. Ces derniers, nombreux dans les établissements scientifiques, sont attachés à leurs certitudes ce qui fait qu’ils ont des difficultés à admettre la vitesse finie de la lumière ou la théorie de l’évolution. Mais ailleurs qu’en terre d’islam, on trouve la même résistance. En particulier, les intégristes protestants dénoncent la théorie de Darwin comme étant une supercherie et l’accusent d’être à l’origine du racisme et du nazisme. Mais aux États-Unis, un large mouvement s’est développé pour contrer l’enseignement dans les écoles des thèses créationnistes, notamment, la théorie de l’Intelligent Design qu’on a qualifié de « créationnisme mou ». Par ailleurs, un autre aspect de l’extrémisme religieux consiste à essayer de montrer, de manière tout à fait artificielle, la conformité des textes religieux avec les découvertes scientifiques.

Actuellement, en France ou en Belgique par exemple, certains élèves refusent d’assister à des cours de biologie sous prétexte qu’ils ne seraient pas en conformité avec leurs convictions religieuses. Début février 2006, des étudiants marocains de l’université d’Amsterdam ont refusé que le professeur de biologie donne un cours sur la théorie de l’évolution, comme l’écrit Fouad LAROUI [1]. Ce type de comportement, refus de certaines théories scientifiques, peur de perdre ses certitudes, est apparu avec la montée des islamistes, au moment de la révolution iranienne. Cette attitude des extrémistes religieux musulmans n’est ni un fait nouveau ni un fait spécifique à l’islam, elle a été et est encore présente dans toutes les religions ; il suffit de rappeler les batailles pour l’enseignement de la théorie de l’évolution dans certains États des USA. Cependant, on ne peut mettre au même niveau de conséquences le refus de la science dans les sociétés occidentales et dans les pays en développement.

RÉFUTATION DE CERTAINES THÉORIES SCIENTIFIQUES

Vers la fin des années soixante-dix, les extrémistes religieux musulmans commençaient à être très présents à l’université tunisienne, surtout dans les établissements scientifiques et leurs réactions à certaines théories scientifiques montraient bien leur attachement à leurs certitudes. En particulier, certains de mes étudiants contestaient la vitesse finie de la lumière, prétendant qu’EINSTEIN s’est trompé. Dans le même cours, je leur avais présenté l’électromagnétisme classique. Ils ne remettaient pas en cause cette théorie, pourtant les équations de Maxwell impliquent aussi la vitesse finie de la lumière. Car ils n’y voyaient que ses conséquences sur le plan technique. Ils n’en retenaient que l’aspect opératoire quitte à rendre la physique incohérente.

On relève la même incohérence dans leur réticence à admettre dans sa totalité la mécanique céleste qui permet de prévoir avec précision le début du mois lunaire, et par conséquent la détermination du premier jour du mois de ramadan. En Tunisie, sous la pression des islamistes, il a fallu abandonner les prévisions scientifiques pour revenir, comme on le faisait, il y a quatorze siècles, à l’observation directe de l’apparition du croissant de lune… Mais, on accepte les calculs scientifiques pour les heures de prière…

Il est intéressant de voir comment la théorie de la relativité est perçue aujourd’hui, par certains sites Internet de fondamentalistes islamistes tels que le site :

http://www.harunyahya.com/fr

de Harun Yahya présenté comme un pseudonyme d’un académicien turc, Adnan OKTAR. Dans une section intitulée « La relativité du temps et la réalité du destin », la relativité du temps de la théorie d’EINSTEIN est présentée de la manière suivante : « …Puisque le temps est une perception, il dépend entièrement de celui qui le perçoit ; il est donc relatif ». Aucune mention à la valeur finie de la vitesse de la lumière n’est faite et les conséquences que l’on en tire ne sont a fortiori pas évoquées.

Dans ce site, c’est la réfutation de la théorie de l’évolution qui est largement développée.

Un grand espace y est consacré, en particulier dans un chapitre intitulé « le mensonge de la théorie de l’évolution », chapitre qui est présenté comme une succession d’« arguments scientifiques », preuve que la théorie de l’évolution est une « grande imposture ». Un autre site :

http://www.mensongedelevolution.com

faisant référence à ce dernier, dénonce quant à lui, les conséquences néfastes de cette théorie sur la société et « révèle les fraudes et les mensonges commis par les partisans de l’évolutionnisme en “ prouvant ” l’évolution ». Il ajoute que « la seule raison pour laquelle le darwinisme est encore imposé aux gens par le moyen d’une campagne de propagande à l’échelle mondiale est due aux aspects idéologiques de la théorie de l’évolution ». Cet aspect idéologique est largement développé pour montrer le danger que représente cette théorie : « Des idéologies violentes telles que le racisme, le fascisme et le communisme, ainsi que d’autres conceptions barbares du monde, qui reposent sur le conflit, se sont toutes inspirées de cette duperie ».

C’est le même type de discours que tiennent les créationnistes chrétiens. Il semble que les extrémistes musulmans se sont fortement inspirés de leurs attaques contre l’évolution, surtout avec le développement d’Internet. Dans des sites Internet créationnistes, par exemple, celui de l’« Association de Science créationniste du Québec » ou le site :

http://www.answersingenesis.org

la théorie de Darwin est accusée de mener à la pornographie, au racisme, au fascisme ; on lui attribue le concept de race supérieure, c’est donc une philosophie « culminant dans la “ solution finale ”, l’extermination d’environ six millions de juifs et quatre millions d’autres personnes qui appartiennent à ce que des scientifiques allemands ont jugé comme “ races inférieures ” » [2].

Actuellement, le créationnisme le plus puissant est celui des fondamentalistes protestants attachés à une lecture littérale des textes bibliques. Aux USA, ils ont des organismes dotés de budgets très importants tels que l’« Institute for Creation Research » ou la « Creation Research Society ». De plus, une nouvelle forme de mouvement antiDarwin, l’« Intelligent design », le « dessein intelligent » se développe. À la tête de ce mouvement disposant aussi d’une institution puissante, le « Discovery Institute », on trouve des scientifiques, biochimistes, mathématiciens, biologistes… Pour eux, le monde vivant témoigne d’une irréductible complexité qui ne peut procéder que d’une intelligence non naturelle. Ils évitent de nommer le créateur ; pour G. LECOINTRE [3], il s’agit d’un « créationnisme mou, mais offensif ».

Ces mouvements font preuve de beaucoup d’énergie et de ténacité pour investir le champ de l’éducation, introduire leurs idées dans les programmes d’enseignement des écoles publiques et agir pour supprimer la théorie de l’évolution des programmes scolaires. Ils travaillent l’opinion publique, interviennent dans les médias, organisent des conférences dans les universités, ont leurs propres musées…

Aux USA, le système d’enseignement est décentralisé. Chaque État décide sa politique d’éducation ; le conseil de l’éducation définit le contenu du cursus scolaire des écoles publiques et intente des procès lorsque les programmes ne sont pas respectés en particulier pour les matières sensibles. Par exemple, le fameux procès du singe, en 1925, dans l’État du Tennessee : un jeune professeur Thomas SCOPES fut inculpé pour avoir enseigné la théorie de l’évolution aux élèves de l’école publique de Dayton, bravant une loi de cet État qui l’interdit. Il fut condamné à une amende de cent dollars, ce procès suscita beaucoup de réactions aux USA. En 1981, dans l’État de l’Arkansas, sous la pression des créationnistes, une décision législative a eu pour effet d’introduire dans les programmes scolaires, d’autres hypothèses concurrentes aux théories de l’évolution. En 1999, dans l’État du Kansas, le conseil de l’éducation a mis en place pour les écoles publiques des programmes où la théorie de l’évolution est absente. Elle pouvait être enseignée, mais n’était pas au programme des examens : les créationnistes avaient remporté une victoire qui fit parler d’elle. Au début de l’année 2001, par suite du changement de majorité du conseil, la théorie de l’évolution fut remise au programme. Mais, les créationnistes ne cèdent pas de terrain et, à la suite des élections de novembre 2004, la majorité du conseil de l’éducation appartient au clan antiévolution. Le problème de l’enseignement de la théorie de l’évolution se pose donc à nouveau au Kansas. Il en est ainsi aussi dans vingt-quatre États des USA [4]. Autre exemple, dans l’État d’Ohio, le conseil de l’éducation a fait passer une mesure exigeant que l’on enseigne des théories alternatives à celle de l’Évolution et encourageant l’enseignement du « dessein intelligent ». Dans certains États, tels ceux du Missouri et de la Caroline du Sud, il ne s’agit pas seulement de l’enseignement, mais aussi des manuels scolaires vendus dans les écoles publiques, qui doivent comporter un ou plusieurs chapitres contenant une analyse critique sur les origines, certains demandant un traitement égal de l’enseignement de la théorie de l’évolution et celui du « dessein intelligent ».

Ces mesures suscitent des protestations de scientifiques renommés et peuvent aussi être annulées par des décisions de justice suite à des procès. Par exemple, le procès intenté en décembre 2004, en Pennsylvanie, par l’American civil liberties union (ACLU) (L’ACLU représentait Scopes au procès du singe de 1925), représentant onze parents de Dover, contre le conseil d’éducation, pour empêcher que le « dessein intelligent » soit enseigné comme une science dans l’enseignement public, car « le dessein intelligent est un cheval de Troie pour réinstaurer le créationnisme religieux dans les classes publiques scientifiques » [5].

Une association nationale très active pour la promotion et la défense de l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les écoles publiques, le « National center for science education » (NCSE), donne régulièrement l’état des lieux en ce qui concerne cet enseignement aux USA. Le NCSE rapporte les résultats de récents sondages sur ce que pensent les Américains de la théorie de l’Évolution. Le sondage Gallup de novembre 2004 (The Gallup Organization, 19 novembre 2004) donne les résultats suivants.

À la question, « pensez-vous que la théorie de Darwin est une théorie scientifique qui peut bien être prouvée ou juste une des nombreuses théories qui ne peut pas être bien prouvée par l’expérience ou est-ce que vous n’en connaissez pas assez pour en parler » :

  • 35 % disent que l’évolution est bien prouvée par l’expérience ;
  • 35 % disent que non ;
  • 29 % disent qu’ils n’en savent pas assez pour répondre ;
  • 1% sans opinion.

Ces résultats sont similaires à ceux de 2001, la première année où Gallup a posé la question.

En Australie, les créationnistes sont aussi très actifs et disposent d’une organisation puissante, la « Creation science fondation » devenue « Answers in genesis ». Dans l’État du Queensland, au début des années 1980, l’enseignement du créationnisme fut autorisé en tant que science dans les écoles. Pour démontrer que ces créationnistes ont commis des fraudes scientifiques et financières, Ian PLIMER, professeur de géologie à l’université de Melbourne, a dû intenter une action en justice contre eux. Mais compte tenu de la force financière de ses adversaires et des particularités du système judiciaire australien, Ian PLIMER n’a pu mener le procès à son terme (au bout de six ans) qu’en vendant sa maison [3].

En Europe, le créationnisme est aussi présent : en Angleterre, une des plus grandes organisations est la « Creation science mouvement », en Allemagne il existe une revue créationniste qui s’appelle « Wort und wissen », un musée « Lebendige vorwelt » contenant une des plus grandes collections de fossiles dont il existe des descendants dans le monde actuel, pour tenter de démontrer la très grande stabilité des organismes dans le temps. En Italie, le 19 février 2004, la ministre de l’Enseignement et de la Recherche a déposé une proposition pour supprimer la théorie de l’évolution des programmes des écoles secondaires [6] ; sous la pression d’une pétition ayant recueilli plus de cinquante mille signatures en quelques jours, la ministre a fait marche arrière [7].

Certes, les organisations antiévolution sont très actives aux USA et dans d’autres pays majoritairement protestants, mais face à elles, il y a des structures, des associations qui se battent pour les contrer, qui gagnent des procès. En ce qui concerne les pays arabes, on a peu d’informations sur l’enseignement de la théorie de l’évolution et les problèmes qu’il peut poser.

A suivre…

par Faouzia Farida CHARFI

Physicienne – Ancienne directrice de l’Institut Préparatoire

aux Études scientifiques et techniques

La Marsa – Tunisie

BIBLIOGRAPHIE ET NETOGRAPHIE

[1] LAROUI F. « Ne nous parlez pas de Darwin ». Jeune Afrique l’Intelligent, n° 2301, 13-19 février 2005.

[2] BERGMAN J. « Darwinism and the Nazi Race Holocaust ». Creation Ex Nihilo Technical Journal, 1999, 13, (2), p. 101-111, ou http://www.answersingenesis.org

[3] LECOINTRE G. « Évolution et créationnismes». Sagasciences@cnrs-dir.fr

[4] PARKER L. « School science debate has evolved ». USA Today, 28 novembre 2004.

[5] ACLU/AU Press Release. « Pennsylvania Parents File First-Ever Challenge to “ Intelligent Design ” Instruction in Public Schools ». December 16, 2004, http://www.aclu.org/religion/index.html

[6] SUSANNE C. « L’enseignement de la biologie et l’évolution (humaine) en péril ? », Antropo, 2004, 8, p. 1-31.

[7] Journal La Republica, 28 avril 2004.