Science et religion aujourd’hui : perspectives islamiques
Qu’il me soit permis, pour commencer, de raconter une histoire que mes collègues astronomes relatent parfois dans des congrès scientifiques. C’est l’histoire d’un professeur d’astronomie qui fait une conférence pour le public sur les dernières découvertes de la cosmologie contemporaine. Il y expose la théorie du Big Bang, l’expansion de l’univers, la formation des galaxies, etc. A la fin de la conférence, une dame très âgée vient voir le conférencier et lui dit : « Cher Professeur, tout ce que vous avez raconté me semble très compliqué. En effet, on sait bien que le monde repose sur le dos d’une grande tortue. » Le professeur retient un sourire, et pose à la dame une question : « Très bien, chère Madame, mais sur quoi cette tortue repose-t-elle, à son tour ? » La dame répond : « Mais c’est évident, sur une autre tortue. » Et voyant que le professeur allait répéter sa question, la dame prend les devants : « Et d’ailleurs, vous savez, il y a des tortues jusqu’en bas. »
Quand mes collègues astronomes racontent cette histoire — dont je ne peux vous dire si elle s’est produite réellement ou si elle a été inventée — je crois ressentir chez eux un mélange d’ironie et de dépit : ironie par rapport à l’ignorance de la vieille dame ; dépit par rapport à leur propre ignorance de « ce sur quoi repose le monde ».
La vieille dame a tort du point de vue scientifique, mais elle a raison du point de vue métaphysique, en ce sens qu’elle sait que toute chose repose sur une fondation, un soubassement, un socle. Et le professeur d’astronomie, qui a peut-être raison du point de vue scientifique, a tort du point de vue métaphysique, s’il refuse l’existence de ce socle qui brise la régression ad infinitum des tortues, ou de toute autre entité cosmique.
On pourrait dire que la science s’intéresse avec succès aux « tortues », plus exactement à la chaîne des causes et des effets qui régissent le monde. Mais elle reste muette sur le socle, qui échappe à son regard, ce socle qui nous permet de répondre à la question de Leibniz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? »
A cette question, les croyants répondent que ce socle ne peut être que Dieu, aç-Çamad, l’Indépendant des mondes, Celui dont tout dépend, al-Haqq, le Réel sur lequel tout s’appuie, al-Muhît, Celui qui nous entoure de toutes parts. Subhâna-Llâh, ‘ammâ yaçifûn. C’est Sa rahmah qui maintient le monde dans l’être (wujûd), au-dessus du néant (‘adam). Si Dieu retirait Sa rahmah, le monde cesserait aussitôt d’exister.
J’ai l’impression que cette petite histoire nous permet de sentir pourquoi la question des relations entre science et religion est intéressante. Cette question est aussi ancienne que la philosophie elle-même, qui s’est, dès ses débuts, attachée à définir les positions respectives de la raison et de la foi, du vrai et du juste, de la liberté et du destin.
On suit la trace de ces débats dans les élaborations doctrinales du judaïsme, du christianisme, et de l’islam, pendant la période qui, en Occident, recouvre l’ensemble du Moyen Age. Cette question était tout aussi présente au moment de la naissance de la science moderne, au XVIème et XVIIème siècles. Enfin, la prise d’indépendance de la raison par rapport à la révélation, et des sociétés par rapport aux églises, reste le fil rouge qui traverse toute l’époque moderne, jusqu’aux fameux « maîtres du soupçon » (Marx, Nietzsche et Freud) qui ont ouvert la voie au doute contemporain. L’opinion dominante fut alors de considérer que science et religion, ayant mené jusqu’à son terme un divorce douloureux, dont l’affaire Galilée reste, en Europe, l’événement emblématique, n’avaient plus rien à se dire.
Pourtant, rien n’est joué définitivement pour la pensée humaine, et il n’est pas exagéré d’affirmer que l’étude des relations entre science et religion conserve, au début du XXIème siècle, un intérêt certain. En effet, dans ce domaine, le tournant du millénaire, dans un contexte de mondialisation des échanges et des défis, a vu émerger des problématiques nouvelles, ou a assisté à la résurgence de questions plus anciennes, mais renouvelées par le décor inédit dans lequel elles se placent. Force est de constater que le thème du « dialogue entre science et religion » est en train de connaître une expansion rapide, avec ses acteurs, sa littérature et ses centres de recherche.
Ce thème se développe surtout dans le monde occidental, un environnement marqué par ses racines chrétiennes (catholiques et protestantes), au sein de sociétés frappées par le « désenchantement du monde » et la désillusion post-moderne. Mais d’autres aires culturelles sont également intéressées par ce dialogue, notamment le monde du Christianisme oriental, l’Inde et la Chine. Nous voulons examiner ici pourquoi le monde musulman doit participer à cette entreprise, et comment il peut le faire.
Le dialogue entre science et religion ne peut commencer que dans la mesure où les termes employés sont précisés. En effet, les conditions du dialogue requièrent au préalable de dégager ce qui, dans la science et la religion, entre en dialogue. On partira ici de deux préalables. Premièrement, au-delà de la diversité des disciplines, il y a un fonds commun à la pratique scientifique — nous visons ici plus particulièrement les sciences de la nature — comme démarche de compréhension du monde utilisant la raison, dans un va-et-vient entre théorie et expérimentation (et/ou observation).
Deuxièmement, et c’est ici une affirmation qui n’est pas objet de consensus, nous poserons qu’il y a aussi un fonds commun à toutes les religions, au moins dans la mesure où elles traduisent une expérience humaine, mais aussi parce qu’elles constituent toutes des adaptations d‘une même « tradition primordiale » — ce que nous appelons, en islam, ad-dîn al-qayyim. Ce qui dialogue, c’est le discours interprétatif, de nature philosophique, qui peut être élaboré à partir des méthodes, des pratiques, et des résultats de la science, et le discours théologique, ou doctrinal, qui est élaboré à partir du donné de la révélation et de l’expérience de la foi, voire de l’expérience de la connaissance spirituelle.
Ce dialogue, ensuite décliné en fonction des différentes disciplines, des différentes religions, et des différentes approches doctrinales et visions du monde, a nécessairement besoin d’une médiation, qui utilise justement le vocabulaire philosophique. La philosophie grecque et médiévale a forgé un tel vocabulaire, en Occident et dans le monde arabo-musulman, pour parler des rapports entre foi et raison. Ce vocabulaire peut encore être utilisé, mais il n’est pas toujours adapté au contexte actuel, parce que la science a changé depuis le Moyen Age.
Elle était autrefois uniquement déductive et n’utilisait que la raison ; elle est désormais inductive et déductive, et utilise tout à la fois la raison et l’expérimentation pour tirer des lois générales à partir de l’étude des phénomènes, et tester ces lois dans d’autres situations. Enfin, au-delà même des simples problèmes de traduction de l’anglais international — langue de la science contemporaine — à l’arabe, et vice-versa, il faut se rendre compte que les mots de la science ne sont désormais plus que des « étiquettes » sur des concepts techniques précis, construits dans le cadre de théories complexes, et que leur interprétation en un langage compréhensible par les non-spécialistes reste toujours délicate.
Il convient aussi de se demander si ce dialogue est réellement pertinent. En Occident, nombreux sont ceux qui défendent une vision matérialiste du monde, vision qui prétend s’appuyer sur la science. Certes, la science prend comme « règle du jeu » de chercher des explications naturelles aux phénomènes naturels, et elle y réussit. C’est ce que certains ont appelé le matérialisme méthodologique de la science.
Beaucoup en concluent alors qu’il n’y a, dans l’ordre de la réalité, que des explications naturelles. C’est ce qu’on appelle le matérialisme ontologique. Il s’agit là pourtant d’un saut qui n’est pas nécessaire. Pour les croyants, en effet, Dieu a choisi ces règles du jeu, et incite l’homme à en admirer la perfection : « Tourne le regard : y vois-tu quelque faille ? » (fa’rji’i-l-baçar. Hal tarâ min futûr ?). Bien sûr, on a tout à fait le droit de considérer que le matérialisme ontologique est la condition du matérialisme méthodologique de la science.
Ce faisant, on pose évidemment la réponse avant la question : Si l’on tient que la science ne peut se développer, en toute cohérence, que dans l’univers philosophique du matérialisme, les religions n’ont aucune légitimité, du point de vue de leur pensée sur le monde, et le dialogue entre science et religion ne peut être mené, faute d’interlocuteur. Inversement, la position religieuse dite « fidéiste » consiste à tenir que la voix de l’homme n’a aucun poids face au message divin, que l’homme ne peut rien comprendre au monde, et donc que l’entreprise d’exploration du monde menée par la science est illégitime, sinon dangereuse.
On veut ici défendre une position moins arrêtée que le matérialisme et le fidéisme, une sorte de troisième voie très large : celle qui conduit la science, et ses différents environnements philosophiques, à confronter leurs concepts sur la réalité et la connaissance, avec ceux issus des grandes religions, et leurs différentes interprétations, en n’essayant surtout pas d’obtenir le triomphe de telle ou telle vision ou idéologie.
Car ce qui est le plus important dans cette entreprise, c’est justement le maintien du dialogue. Celui-ci se construit en repérant les interfaces, les points de désaccord, les incompatibilités, les similitudes et les convergences. Il s’agit-là, en fin de compte, d’une tentative de cartographie d’un vaste terrain, qui s’est singulièrement agrandi et compliqué avec les progrès rapides de la science, l’ouverture des religions « au monde » et « à la modernité », et la prise de conscience de la diversité des religions.
Pourquoi y a-t-il, aujourd’hui dans le monde, une résurgence du débat ancien entre foi et raison, sous la forme d’un « dialogue entre science et religion » ? Il me semble que l’on peut identifier au moins quatre grands facteurs qui concourent à ce renouveau.
Premièrement, les révolutions de la science contemporaine, à partir du début du XXème siècle, ont provoqué l’émergence de nouveaux paradigmes scientifiques. Ces paradigmes ont comme caractéristique de repérer, de l’intérieur même de la science, des limites fondamentales à l’entreprise de connaissance du monde. C’est ainsi que, dans les mathématiques, la physique, la cosmologie contemporaines, sont apparues les notions d’incomplétude, d’indécidabilité, d’indéterminisme, d’imprédictibilité, ou d’horizon à l’observation. Pour résumer, la science comprend désormais qu’il y a des frontières intrinsèques à sa compréhension du monde.
Bien loin d’être une défaite de la raison, ces avancées scientifiques en témoignent de la puissance. Mais elles appellent aussi des interprétations de nature philosophique qui ne sont pas aussi simples que dans les paradigmes précédents, où la science prétendait avoir accès à toutes les vérités. Certes, il reste possible de ne pas se poser de « grandes questions philosophiques » et de considérer la science comme « l’ensemble des recettes qui réussissent toujours », selon le mot de Paul Valéry.
Mais nombre de scientifiques contemporains, qui refusent cette option dite « opérationnaliste », croient vraiment qu’il existe une réalité indépendante d’eux, et sont ainsi « en quête de sens », un sens à leurs pratiques et à leurs résultats. Ils cherchent, en fin de compte, à comprendre les raisons du succès et des limites de la science, en l’incorporant dans une perspective plus large.
Deuxièmement, le dialogue est aussi favorisé par l’intérêt des théologiens et des penseurs religieux eux-mêmes, ou au moins de ceux qui estiment qu’il faut considérer le monde pour comprendre l’action que Dieu y mène. Ces penseurs tiennent que toutes les constructions théologiques faites à partir du donné du révélé ne se valent pas également, dans la mesure où certaines sont manifestement en contradiction flagrante avec ce que nous savons du monde.
Ainsi, scientifiques et penseurs religieux, également intéressés par la réalité du monde, selon des perspectives qui leur sont propres, se retrouvent dans un « lieu commun » pour s’interroger sur ce que la science et la religion nous apprennent, et sur ce qu’elles ne peuvent nous apprendre. Les uns et les autres sont, peu ou prou, les derniers à s’intéresser à la réalité, ce « donné » qui résiste, et donc existe indépendamment de nous. En effet, la plupart des autres acteurs de la pensée contemporaine sont davantage préoccupés par les constructions humaines, et par l’action qui donne corps aux idées en retaillant un monde plastique et « absurde » à leur mesure.
Troisièmement, cette rencontre entre scientifiques et penseurs religieux est nécessaire dans le contexte de la globalisation des problèmes de l’humanité, dont les pages d’actualité des journaux se font régulièrement l’écho. Citons, en vrac, les décisions « planétaires » qu’il s’agira de prendre sur le réchauffement climatique, l’accès de tous à l’eau, le partage des ressources naturelles, les manipulations génétiques, la conservation de la biodiversité, la gestion des déchets… Il est bien évident que de telles décisions, pour être viables, devront avoir été éclairées par un débat scientifique.
Or comment prendre en compte la diversité des cultures — et donc des religions qui en sont souvent la base — dans l’acceptation de débats complexes, et de décisions difficiles qui, pour être efficaces, devront être communes ? A cet égard, le débat entre science et religion permet de repérer les points d’articulation propres à chaque religion, de dégager des constantes, et d’apprendre à partager, petit à petit, un même langage.
Enfin, le quatrième facteur est peut-être le plus important. Le dialogue entre science et religion, dans le contexte nouveau d’une prise de conscience de la diversité des religions, et de leur coexistence physique à tous les endroits de la planète, donne un premier « contenu » au dialogue interreligieux. En évoquant le discours de la science sur le monde — un monde qui nous est commun — et la façon dont ce discours résonne, ou non, avec le discours de chaque religion, les uns et les autres apprennent à se connaître, à s’apprécier, à collaborer. En parlant de la réalité physique qui résiste, des chemins de la connaissance que les êtres humains ne parcourent qu’en tâtonnant, ils s’approchent des questions métaphysiques sur la nature de la réalité ultime et de la connaissance ineffable, et s’ouvrent à une véritable reconnaissance du patrimoine spirituel de l’humanité.
Le dialogue entre science et religion est donc poussé par des vents forts en ce début du XXIème siècle. Il est toutefois indispensable de comprendre, sous peine de connaître une profonde déception, que tous les passagers ne partagent pas la même vision sur ce qui doit être le terme du voyage. On peut identifier immédiatement ceux qui, d’un côté comme de l’autre, ont des objectifs apologétiques, en faveur exclusive de la science ou en faveur exclusive de la religion.
Pour cette première catégorie de passagers, le « dialogue » doit finalement conduire à la défaite d’un des deux protagonistes, parce que les deux ne sauraient coexister durablement. Etrange dialogue, en vérité. Pour d’autres, il s’agit de faire l’apologie de sa propre religion, en utilisant la science comme juge de paix. Une telle attitude, il faut le reconnaître, est très répandue chez nous, dans le monde musulman, où beaucoup estiment que l’islam est la seule religion compatible avec la raison humaine — mais quelle forme de raison ? Une troisième catégorie de passagers est engagée dans une entreprise qui a eu ses lettres de noblesse et a essuyé de sévères critiques : celle de la « théologie naturelle ».
La théologie naturelle est la démarche qui consiste à essayer de prouver l’existence de Dieu par les seules menées de la raison explorant le monde. Dieu pourrait-il être au bout de l’entreprise scientifique ? Au, tout au moins, Dieu pourrait-il être considéré comme une option possible avec, et après, la science, voire comme une option raisonnable ?
Enfin, une quatrième catégorie, peut-être minoritaire, se satisfait davantage du processus que du terme. Le dialogue devient alors un aiguillon pour s’engager plus avant dans les énigmes de la science, qui nous renvoient à un double mystère fondamental, celui du monde et celui de l’homme, et au vertige de leur mise face à face, comme un jeu de miroirs. C‘est, me semble-t-il, la perspective dans laquelle nous voulons nous placer ici, et que nous allons développer maintenant plus spécifiquement pour l’islam.
Les intellectuels musulmans qui travaillent sur les rapports de la science et de la religion puisent leur réflexion dans l’épistémologie de leur religion. En effet, la tradition islamique insiste sur la recherche de la « connaissance » (‘ilm), un mot qui revient plus de 800 fois dans le Coran et dans de nombreuses traditions prophétiques comme « la recherche de la connaissance est une obligation religieuse », ou « cherchez la connaissance jusqu’en Chine ».
Cette connaissance a trois aspects : le savoir religieux transmis par la révélation, la connaissance du monde acquise par l’investigation et la méditation, et enfin, le savoir d’ordre spirituel accordé par Dieu. Faisons donc très attention à ce que le mot ‘ilm recouvre. C’est de tout le savoir possible qu’il s’agit. La science moderne ne représente qu’une des approches possibles de ce savoir : elle repose sur des présupposés — la recherche d’explications naturelles minimales — et une méthode — le va-et-vient entre théorie et expérience, et la mesure des phénomènes en vue de la mise en équations mathématiques de leur description.
Les différentes attitudes face au rapport entre science et religion procèdent des éclairages différents qui peuvent être donnés à ces trois aspects. Mais la perspective fondamentale de l’islam demeure celle de l’affirmation de l’unicité divine (tawhîd), qui assure l’unicité de la connaissance, dans la mesure où tout savoir véritable reconduit à Dieu. C’est le même mot (âyât) qui désigne à la fois les signes de Dieu dans le cosmos et les versets du texte coranique. De nombreux passages, appelés « versets cosmiques » (âyât kawniyya) par les commentateurs, attirent l’attention du lecteur sur les phénomènes de la nature, où celui-ci doit apprendre à déchiffrer l’œuvre du Créateur. En conséquence, il ne saurait y avoir de désaccord entre les données produites par la connaissance du monde et celles qui sont apportées par la révélation, ni de « double vérité » (duplex veritas), comme l’appelaient les Chrétiens écrivant en latin, double vérité condamnée dans l’Occident médiéval et faussement attribuée aux philosophes musulmans.
L’idée fondamentale de l’unicité de la connaissance apparaît dans les positions de deux acteurs majeurs de l’histoire de la pensée musulmane, Abû Hâmid Al-Ghazâlî (1058—1111) et Abû-l-Walîd Muhammad Ibn Rushd (1126—1198), dont les œuvres sont encore très lues aujourd’hui. L’un et l’autre étudient les rapports entre la foi islamique d’une part, et la philosophie et la science d’inspiration hellénique d’autre part, mais leurs travaux gardent leur intérêt pour la question qui nous occupe aujourd’hui, celle des relations entre science et religion. Al-Ghazâlî défend, dans al-Munqidh min ad-Dalâl, que la possibilité de parvenir à la certitude rationnelle est accordée par don divin.
S’il y a désaccord apparent entre les résultats de la falsafah et les enseignements de la tradition religieuse, c’est parce que les philosophes ont appliqué leur investigation en dehors de son domaine de validité, et ont été amenés à énoncer des propositions fausses. Al-Ghazâlî renvoie donc les philosophes à leurs travaux pour qu’ils les améliorent, et entreprend lui-même de démonter leurs erreurs, en montrant l’incohérence (tahâfut) de leurs résultats, du seul point de vue de la raison, sans faire appel à des arguments de nature religieuse. Au siècle suivant, Ibn Rushd affirme, sous la forme du long avis jurisprudentiel (fatwâ) que constitue son livre Kitâb Façli-l-Maqâl, que la pratique de la philosophie et de la science — la hikmah — est une obligation religieuse canonique.
Pour lui, s’il y a désaccord apparent entre philosophie et révélation, ce sont les textes religieux qui doivent être soumis à interprétation (ta’wîl), sous peine de tomber dans l’impiété en faisant dire à Dieu des choses manifestement fausses. Une fois que la raison a parlé, la balle revient, en quelque sorte, dans le camp des penseurs religieux, et d’abord des commentateurs du Coran (al-mufassirûn), qui doivent se replonger dans le texte pour mieux le comprendre. Pour Al-Ghazâlî comme pour Ibn Rushd, il ne peut, au fond, y avoir de désaccord entre la vraie religion et la vraie science. Le désaccord procède toujours d’« erreurs d’interprétation » de la religion ou de la science.
Les différentes positions des musulmans contemporains face à la science se répartissent selon des courants qui suivent toujours, d’une façon ou d’une autre, cette ligne de l’unité de la connaissance. Qu’il me soit permis de retracer ici, très brièvement, l’histoire récente de ce rapport à la science.
Le monde musulman a rencontré la science moderne, au XIXème siècle, sous la forme d’un double défi, à la fois matériel et intellectuel. La défense de l’empire ottoman face à la poussée militaire des pays occidentaux, puis le succès de la colonisation, ont rendu nécessaire l’acquisition de la technologie occidentale, et donc de la science qui en est la fondation.
Cette pression de la science moderne sur l’islam, qui a débuté il y a plus de deux cents ans, demeure encore très forte. L’Occident apparaît, plus que jamais, comme le modèle de progrès qu’il faut rattraper, ou au moins suivre, en formant techniciens et ingénieurs, et en assurant le transfert massif des technologies indispensables au développement. Voilà pour le défi matériel.
Mais la rencontre entre l’islam et la science moderne a surtout suscité une réflexion d’ordre intellectuel, c’est-à-dire philosophique et doctrinal, en quelque sorte provoquée par un événement inaugural, la fameuse conférence « L’Islamisme et la Science » donnée par Ernest Renan (1823—1892) à la Sorbonne en 1883. Dans la perspective positiviste qui était la sienne, Renan y critiquait l’incapacité des musulmans à produire des découvertes scientifiques, et leur inaptitude à la pensée rationnelle.
Cette conférence fut ressentie comme une provocation par les intellectuels musulmans de l’époque qui étaient en contact avec l’intelligentsia occidentale. Ces intellectuels, dont Jamâl-al-Dîn Al-Afghânî (1838—1897) fut le précurseur, défendirent alors l’idée que l’islam n’avait pas connu de rupture entre religion et science, alors que le christianisme, surtout le catholicisme, avait vécu une longue période de conflit avec celle-ci.
Selon eux, la science moderne n’est rien d’autre que la « science islamique » autrefois développée par le monde musulman de l’époque classique (celui des califats umayyade et abbasside), et finalement transmise à l’Occident, dans l’Espagne du XIIIème siècle, grâce à des traductions qui permirent ensuite la Renaissance et les Lumières.
Pour ces intellectuels à l’origine du courant « moderniste » de l’islam, il n’y a rien de mauvais, en principe, dans la science. Seules les distorsions imposées à la science par la vision matérialiste et positiviste des philosophes et scientifiques anti-religieux de l’Occident demeurent inacceptables.
La science moderne n’a pu naître dans le monde musulman, pourtant très avancé à une certaine époque, à cause des « superstitions » ajoutées à la religion d’origine, qui ont incité au fatalisme quiétiste plus qu’à l’action. A l’issue de cette prise de conscience de l’engourdissement (jumûd) des sociétés musulmanes, les modernistes appellent à la renaissance (nahdah), par la réforme (içlâh) de la pensée islamique. Cette position, très répandue dans le monde musulman, pose un certain nombre de questions épineuses, que l’on peut résumer en disant qu’il s’agit de savoir si la réforme doit conduire à « moderniser l’islam » ou à « islamiser la modernité ».
Ce premier courant, sans doute majoritaire, considère donc, dans le sillage des réformistes des XIXème et XXème siècles, qu’il n’y a rien d’intrinsèquement mauvais dans la science. L’Occident, qui est actuellement le producteur des découvertes scientifiques, doit être blâmé seulement pour sa vision matérialiste et son indifférence à la morale. Ce que ce courant place sous le nom de science, ce sont essentiellement les sciences de la nature, et non les sciences humaines pénétrées des valeurs anti-religieuses de l’Occident.
La science est considérée comme pourvoyeuse de « faits » qui, en eux-mêmes, sont complètement neutres. Ce qui manque à l’Occident, c’est le sens de l’éthique que certains scientifiques occidentaux ont manifesté de façon personnelle, mais qui n’apparaît pas assez, ou pas du tout, dans les sociétés occidentales. Ainsi de grands scientifiques, comme le prix Nobel de Physique (1979) Abdus Salam (1926—1996), ont-ils pu se faire les avocats du développement de la science moderne dans le monde islamique. Ces défenseurs de la science rappellent les heures glorieuses de la grande époque de la science en islam, énumèrent la longue liste des savants musulmans « oubliés de l’histoire », et cherchent à construire un futur en promouvant le rôle émancipateur de l’éducation.
Ce courant connaît actuellement un essor considérable, tout en étant, parfois, récupéré à des fins apologétiques. En 1976, un chirurgien français, Maurice Bucaille (1920—) publia La Bible, le Coran et la Science où il étudiait les écritures saintes « à la lumière des connaissances modernes », et concluait à l’authenticité du Coran, en raison « de la présence d’énoncés scientifiques qui, examinés à notre époque, apparaissent comme un défi à l’explication humaine ». L’intention initiale n’était pas d’aborder les rapports entre science et religion en islam, mais de prendre part au débat des orientalistes, et des islamologues contemporains, sur le statut du Coran, en apportant des éléments en faveur de l’authenticité de celui-ci.
Cette idée des « preuves scientifiques » de la vérité du Coran fut propagée dans le monde musulman par les nombreuses traductions du livre de M. Bucaille, et amplifiée au point d’occuper une place dominante dans l’apologétique actuelle, où le thème traditionnel de « l’inimitabilité du Coran » (i’jâz al-qur’ân), une inimitabilité liée au miracle de la langue que Dieu a choisie pour transmettre Son Message aux hommes, est réinterprété comme une inimitabilité « scientifique » (i’jâz ‘ilmî), du texte sacré. Les « savants occidentaux » qui y sont mis en scène reconnaissent dans le Coran les dernières découvertes de la science moderne (cosmologie, embryologie, géophysique, météorologie, biologie), et affirment ainsi la vérité de l’islam. Etant donné l’importance de cette question, qui déchaîne les passions de ses partisans comme de ses détracteurs, qu’il me soit permis de m’y attarder un peu.
Il me semble qu’il faut distinguer deux niveaux dans cette démarche, que j’appellerai, pour simplifier, celui des « faits », les faits qui font ce que le monde est, et celui des « faits scientifiques », les faits qui sont décrits par la science moderne et inscrits dans son discours, après avoir été mesurés, et mis en équation dans des théories scientifiques.
Tout musulman garde en mémoire ce que Dieu dit : « Nous n’avons rien omis dans le Livre » (wa mâ farratnâ fî-l-kitâb min shay). Croire au miracle du Livre, c’est donc ne pas refuser a priori que Dieu puisse y montrer des signes destinés à prouver la véracité du message. Le monde et le Livre résultent l’un et l’autre de l’Ordre de Dieu (al-amr). Ils ont, en quelque sorte, le même Auteur. Il est donc effectivement « miraculeux » que le discours coranique sur le monde mentionne des « faits », et soit conforme à ce que le monde est, tout simplement, parce qu’il n’y a pas de « double vérité », comme al-Ghazâlî et Ibn Rushd l’avaient déjà compris.
Dans le même temps, comme al-Ghazâlî et Ibn Rushd l’avaient aussi remarqué, Dieu nous demande d’aller contempler les merveilles de Sa Création pour y lire Ses signes. Cette démarche de compréhension du monde avec notre intelligence était celle de la philosophie, à l’époque de ces deux penseurs, mais c’est désormais celle de la science. Tout consiste donc à comprendre ce que Dieu veut nous révéler dans le texte sacré, et ce qu’Il veut nous dévoiler dans le monde.
Par la révélation, Dieu a délivré cette connaissance que l’homme ne pouvait acquérir par ses propres moyens, selon le verset : « Il a enseigné à l’homme ce que celui-ci ne savait pas » (‘allama-l-insâna mâ lam ya’lam). Car l’objectif de la révélation n’est-il pas, avant tout, de donner à l’homme les moyens d’adorer Dieu pour Le connaître, et d’être sauvé, si Dieu le veut, par cette adoration ? Mais Dieu, qui a insufflé en Adam de son Esprit (min rûhi), et lui a appris « tous les noms » (al-asmâ kullahâ), a aussi rendu l’homme capable de comprendre en partie le monde, assez pour y agir comme le vice-régent de Dieu (khalîfatu-Llâh fî-l-ard).
L’homme se doit donc d’explorer le monde avec son intelligence, pour répondre à l’ordre de Dieu. Cette exploration se fait par la science, aujourd’hui comme durant la grande période de l’islam, sous les califats. Or il faut être conscient que les développements scientifiques se construisent dans un contexte très particulier, de « va-et-vient » entre théorie et expérience. Les mots y acquièrent un sens technique spécial.
Aussi la recherche, non de « faits », mais de « faits scientifiques » quantifiables et mesurables comme la valeur numérique de la vitesse de la lumière, dans le texte coranique, résulte-t-elle d’un malentendu, tout simplement parce qu’en cherchant ces faits scientifiques dans le Livre plutôt que dans le monde, on se méprend sur l‘endroit où les chercher. Cette méprise est doublement problématique, pour la religion et pour la science.
Problématique pour la religion, car cette recherche, attirant notre attention sur les versets coraniques dans la seule perspective des phénomènes matériels, risque de nous faire perdre la perspective des vérités intellectuelles et spirituelles qui imprègnent chaque verset coranique ; problématique pour la science, car, en ne cherchant pas à comprendre tout le travail qui réside derrière les mots et les concepts scientifiques, et en se livrant parfois à des « acrobaties numériques » pour lire des quantités mesurables entre les lignes du texte sacré, on déserte la participation active à cette aventure contemporaine de la science, une aventure qui est pourtant indispensable au développement de nos pays et au bien de la ummah.
Revenons à la position du premier courant de pensée sur les relations entre science et religion. Pour lui, il n’y a qu’une seule façon de faire de la science. La « science islamique » de la glorieuse époque n’est autre que la science universelle, pratiquée par des scientifiques appartenant à la civilisation arabo-islamique. Mais cette position rencontre de fortes critiques. En effet, ses détracteurs disent qu’elle procède d’une vision « héroïque » de la science. C’est-à-dire une vision qui ne correspond pas à la façon dont la science se pratique réellement. Car celle-ci ne peut être dégagée du contexte social et culturel dans lequel elle s’élabore.
Fort de cette constatation, le deuxième courant de pensée refuse cette idée de science universelle, et met l’accent sur la nécessité d’examiner les présupposés épistémologiques et méthodologiques de la science moderne d’origine occidentale, qui ne sauraient être acceptés « en l’état » par le monde musulman. Ce courant se fonde sur les critiques émanant de la philosophie et de l’histoire des sciences. Karl Popper (1902—1994), Thomas Kuhn (1922—1996), et Paul Feyerabend (1924—1994), ont contribué, chacun à leur manière, à questionner la notion de vérité scientifique, la nature de la méthode expérimentale, et l’indépendance des productions de la science par rapport à l’environnement culturel et social où celles-ci apparaissent.
Dans un climat fortement marqué par le relativisme et l’anti-réalisme de la déconstruction post-moderne, les critiques musulmans de la science occidentale refusent l’idée selon laquelle il n’y aurait qu’une seule façon de faire de la science. Ils cherchent à fonder les principes d’une « science islamique », en enracinant la connaissance scientifique et l’activité technologique dans les idées de la tradition islamique et les valeurs de la loi religieuse (sharî’a), avec des nuances qui résultent des différences d’interprétation.
C’est ainsi que Isma’il Raji Al-Faruqi (1921—1986) a élaboré un programme d’islamisation de la connaissance, relayé par la fondation, en 1981, de l’International Institute of Islamic Thought, à la suite des expériences et réflexions de Musulmans travaillant dans les universités et les instituts de recherche d’Amérique du Nord. Ce programme est basé sur la constatation d’un malaise dans la communauté musulmane (ummah), qui trouve son origine dans l’importation d’une vision du monde étrangère à la perspective islamique.
Pour l’IIIT, l’islamisation de la connaissance est globale : elle part de la parole de Dieu qui peut et doit s’appliquer à toutes les sphères de l’activité humaine, dès lors que Dieu a créé l’homme comme son « représentant » ou « vice-régent sur terre » (khalîfat Allâh fî-l-ard). Les travaux de l’IIIT conçoivent un projet pour le développement de la pratique scientifique au sein d’une vision religieuse du monde et de la société. L’entreprise de l’IIIT vise d’ailleurs davantage les sciences humaines que les sciences de la nature, considérées comme plus neutres du point de vue méthodologique.
D’autres intellectuels, comme Ziauddin Sardar (1951—) et les membres de l’école de pensée plus ou moins informelle dite ijmâlî (ainsi auto-désignée en référence à la vision « synthétique » qu’elle propose), sont aussi conscients de la menace que fait peser sur l’islam la vision du monde occidentale apportée par la science. Profondément influencés par l’analyse kuhnienne du développement scientifique, ils constatent que la science et la technologie venues d’Occident ne sont pas des activités neutres, mais participent d’un projet culturel, et deviennent un outil pour la propagation des intérêts idéologiques, politiques et économiques de l’Occident. Pour importer la science et la technologie modernes en islam, il faut reconstruire les fondations épistémologiques de la science, dans la perspective d’interconnexion entre les différents domaines de la vie humaine qui est propre à l’islam. Sardar lui-même compare la position des ijmalis à celle d’Al-Ghazâlî.
Le troisième courant de pensée islamique est marqué par une réflexion approfondie sur les fondements métaphysiques de la vision du monde proposée par la tradition islamique. Seyyed Hossein Nasr (1933—) y apparaît comme la figure la plus importante. Il défend le retour à la notion de Science Sacrée. Ce courant trouve sa source dans la critique du monde moderne proposée par le métaphysicien français René Guénon (1886—1951), puis par des auteurs dans le sillage de celui-ci, comme Frithjof Schuon (1907—1994) et Titus Burckhardt (1908—1984), tous musulmans d’origine occidentale. Guénon explique comment la civilisation occidentale moderne représente une anomalie, dans la mesure où elle est la seule civilisation de l’humanité à s’être développée sans se référer à la Transcendance.
Guénon rappelle l’enseignement universel des religions et traditions de l’humanité, qui sont autant d’adaptations de la Tradition primordiale, d’essence métaphysique. La destinée de l’être humain est la connaissance d’ordre intellectuel des vérités éternelles, et non l’exploration des aspects quantitatifs du cosmos. Dans cette perspective, Nasr dénonce, non le malaise de la communauté musulmane, mais celui des sociétés occidentales, obsédées par le développement d’une connaissance scientifique ancrée dans une approche quantitative de la réalité, et par la domination de la nature qui aboutit à la destruction pure et simple de celle-ci.
La position de Nasr et des autres défenseurs de ce courant traditionnel, que certains ont choisi d’appeler « pérennialiste » (par référence à la Sophia perennis dont ils sont les transmetteurs), s’ancre non seulement dans une critique de l’épistémologie occidentale, mais dans une remise en question profonde de la conception occidentale d’une réalité réduite à la seule matière. Les pérennialistes proposent une doctrine de la connaissance comme une succession d’épiphanies, où la vérité et la beauté apparaissent comme des aspects complémentaires de la même réalité ultime. Ils appellent de leurs vœux le rétablissement d’une vision spirituelle du monde, et la réhabilitation de la « science islamique » traditionnelle qui préservait l’harmonie de l’être dans la création. En revanche, les critiques de cette position radicale l’accusent d’un certain élitisme, et mettent en avant la difficulté à réaliser son programme dans les circonstances actuelles.
Les différents courants de la pensée musulmane contemporaine témoignent d’une activité de réflexion intense sur les rapports entre science et religion. Le monde universitaire musulman agit ici comme un melting pot où de nombreuses idées d’origine islamique ou occidentale sont ré-élaborées dans la recherche d’une synthèse. Les éléments fondamentaux restent ceux de la pensée islamique : l’affirmation répétée de l’unicité de Dieu qui unit à la fois la création et l’humanité, la nature ouverte du processus même d’acquisition de la connaissance du monde, qui est par essence illimité puisqu’il a pour origine et pour terme la connaissance de Dieu, l’étroite interconnexion de la connaissance et de l’éthique, enfin la responsabilité de l’homme sur terre en tant que vice-régent, qui doit user du monde sans en abuser et se comporter comme le bon jardinier dans le jardin. Par ailleurs, la métaphysique qui sous-tend l’épistémologie et l’éthique est profondément marquée par la dialectique du visible et de l’invisible.
Les phénomènes y sont les signes de l’action divine dans le cosmos. Dieu est d’ailleurs présent dans le monde, dont il ne cesse de « renouveler la création » à chaque instant (tajdîd al-khalq). L’articulation de cette affirmation avec la causalité, dans le déterminisme et l’indéterminisme de la science moderne, reste encore à élaborer.
La réflexion critique sur l’élaboration même de la science, comme activité marquée par une culture, est maintenant bien inscrite dans le débat. En revanche, il faut constater que les derniers développements de la science contemporaine, notamment ceux qui concernent l’incomplétude en mathématique, l’incertitude en physique quantique, l’imprévisibilité en théorie du chaos, ainsi que les interrogations de la biologie sur l’évolution, et des neurosciences sur la conscience, n’ont sans doute pas été assez médités. Ces développements peuvent en effet fournir d’intéressantes pistes pour briser la vision réductionniste et scientiste du monde, et constituent une sorte de pierre d’attente pour une métaphysique et une épistémologie qui puissent donner du sens à la science telle qu’elle se fait dans les laboratoires et instituts de recherche.
Il s’agit finalement de fournir un contenu au terme de « science islamique ». La question est la fois du domaine de l’éthique (personnelle et collective), de l’épistémologie, et de la vision du monde (on dirait en allemand la Weltanschauung) de nature métaphysique qu’elle présuppose. Chaque courant de pensée doit faire face, lors du passage de la théorie à la pratique, à des problèmes spécifiques qui résultent de sa position particulière, mais aussi des difficultés économiques et sociales du monde musulman.
En tout cas, il est indispensable de susciter rapidement, chez les universitaires et les étudiants du monde musulman, un intérêt pour cette question qui puisse dépasser le simple recours à la vulgarisation scientifique. Les musulmans doivent retrouver le goût de tous les ordres du savoir, conformément à l’ordre de Dieu. L’avenir de la contribution de la civilisation islamique au développement de la connaissance universelle dépend en partie de la réponse qui sera donnée à cet appel. Wa-Llâhu a’lam.
Par Abd-al-Haqq Ismaïl Guiderdoni
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