Histoire de la science dans la civilisation islamique médiévale
L’histoire des sciences occidentale a si longtemps affirmé qu’entre « miracle grec » et Renaissance, l’obscurantisme le plus total avait régné, que l’on avait presque fini par le croire. La raison revenant, il est apparu à l’évidence que les savants des pays d’Islam, du 8ème au 15ème siècles, avaient non seulement traduit les ouvrages grecs et indiens, mais aussi pratiqué la science expérimentale et défriché des domaines des sciences et des techniques qui ne se constitueront que bien plus tard en Europe.
C’est la longue histoire de ce flamboiement culturel injustement méconnu que raconte ici, sous forme d’une série télévisée en trois parties pour la BBC (Oxford Scientific Films), 2009, le célèbre professeur de physique Jim Al-Khalili. La série est accompagnée par le livre d’Ehsan Masood, « Science and Islam, A History ».
Jim Al-Khalili traverse la Syrie, l’Iran, la Tunisie et l’Espagne pour raconter l’histoire du grand bond dans la connaissance scientifique qui a eu lieu dans le monde islamique entre les 8ème et 15ème siècles.
Il se rend en Syrie pour découvrir comment, il y a mille ans, l’astronome et mathématicien Al-Biruni a estimé la taille de la terre à quelques centaines de kilomètres près de la vraie. Au Caire, il raconte l’histoire du physicien Ibn al-Haytham, qui a aidé à établir la science de l’optique.
De Bagdad en Andalousie, des algorithmes d’al-Khawarizmi aux ouvrages savants, tel L’anthologie des étoiles et le paradis de la sagesse, c’est toute une civilisation qui revit, où la liberté de pensée et la tolérance se sont alliées pour faire remarquablement progresser le patrimoine scientifique commun.
Enfin, compte tenu de la réalité des enseignements de l’histoire, cette série vise donc à remettre quelques idées en place, et à rendre justice à une phase de l’évolution de l’humanité que les héritages de la période de la colonisation avaient eu quelque peu tendance à occulter, si ce n’est à dévaloriser.
Le Langage de la science
L’algèbre a contribué à créer le monde dans lequel nous vivons. La science d’aujourd’hui n’aurait jamais existé sans elle. Ce simple constat résume à lui seul l’étendu de l’héritage laissé par les érudits de l’Islam médiéval. Ils ont exhumé les connaissances de la Grèce antique et de l’Inde pour les conjuguer et les développer. De la même façon, notre médecine moderne doit beaucoup aux recherches menées par les médecins de l’ancien empire islamique. Nous croyons que l’histoire de cette formidable évolution scientifique survenue au cours du 8è et du 9è siècle a beaucoup plus à nous apprendre que n’importe quelle autre découverte. A elle seule, elle nous prouve que le langage de la science est universel. La prouesse la plus remarquable des scientifiques de l’Islam médiéval a d’abord été de prouver que la science n’était pas islamique, indoue, hellénistique, juive, bouddhiste ou chrétienne. Elle ne peut se réclamer d’aucune culture. Avant l’islam, le savoir scientifique était dispersé de par le monde. Mais ces savants ont su rassembler les pièces de cet immense puzzle en assimilant des connaissances nées bien au-delà des frontières de leur empire. Cette immense synthèse du savoir n’a pas seulement donné naissance à une nouvelle science. Elle a aussi permis de prouver que la science pouvait transcender les frontières et l’appartenance religieuse. Le savoir scientifique profite à tous les humains quels qu’ils soient. C’est une vision des choses aussi pertinente qu’exemplaire.
L’empire de la raison
Quand les souverains des savants islamiques médiévaux leur ont demandé de calculer la circonférence de la Terre, des érudits comme al-Biruni se sont servis des mathématiques d’une manière totalement inédite pour appréhender et décrire l’univers. Lorsque les échanges et le commerce ont pris leur essor, des scientifiques comme al-Razi ont réagi en développant un nouveau genre de science expérimentale : la chimie. Mais s’il y a bien un nom à retenir pour nous parmi les scientifiques islamiques, c’est celui d’ibn al-Haytham. Pour avoir tant contribuer à l’émergence de ce que l’on appelle aujourd’hui, la méthode scientifique. La méthode scientifique est de notre point de vue l’idée la plus importante que les hommes n’aient jamais eu. Il n’y a aucune autre stratégie qui puisse nous dire comment l’univers fonctionne et quelle est notre place dedans. Elle a aussi débouché sur des technologies qui ont transformé nos vies. Alors, la prochaine fois que vous prendrai l’avion, que vous utiliserez votre téléphone mobile ou que vous vous ferez vacciner contre une maladie mortelle, ayez une pensée pour Ibn al-Haytham, Ibn Sina, al-Biruni et d’autres savants de l’empire islamique médiéval, qui, il y a mille ans, se sont battus pour trouver un sens à l’univers avec des miroirs ou des astrolabes rudimentaires. Ils n’ont pas toujours trouvé les bonnes réponses. Mais ils nous ont appris à poser les bonnes questions.
Le pouvoir du doute
Les hommes n’ont aucune prise sur les lois de la nature. Les scientifiques de l’Islam médiéval l’avait bien compris et ont parfaitement su l’exprimer à travers leurs travaux. Au 9è siècle, al-Khawarizmi a synthétisé les connaissances de la Grèce antique et de l’Inde , pour donner naissance à une nouvelle forme de mathématiques : l’algèbre. Le scientifique Ibn Sina a été le premier à répertorier et à rassembler dans un seul et même ouvrage toutes les connaissances médicales de l’époque. Contribuant ainsi à la naissance de la médecine en tant que discipline. Dans les montagnes reculées d’Iran, des astronomes comme at-Tusi, ont ouvert la voie au scientifiques occidentaux qui utiliseraient leurs travaux des centaines d’années plus tard. La quête acharnée des scientifiques musulmans pour la vérité quel que soit son origine est parfaitement résumée par al-Kindi, un philosophe du 9è siècle qui a écrit : « nous ne devons pas avoir honte d’admirer la vérité, et de l’accueillir d’où quelle vienne. Car il n’y a rien de plus important pour celui qui cherche la vérité. Personne n’est avili par la vérité. Au contraire, on est ennobli par elle. » Ce que l’on peut retenir de ce voyage à travers l’âge d’or et le déclin des sciences dans le monde islamique du 9è au 15è siècle, c’est que la science est un langage universel pour l’humanité. Les nombres décimaux sont aussi utiles en Inde qu’en Espagne. Des tables astronomiques établies en Iran, peuvent êtres d’une importance capitale pour un astronome occidental. Les principes mathématiques de Newton se vérifient qu’ils soient écrits en arabe, en anglais ou en latin. Ce que les scientifiques de l’Islam médiéval avaient compris et ont parfaitement su exprimer, c’est que la science est une langue commune à toute l’humanité. Les lois de l’homme peuvent varier d’un endroit à l’autre, mais les lois de la nature restent immuables pour tous les êtres humains.