La « pause » du réchauffement climatique pourrait être provoquée par le refroidissement du Pacifique
Prochainement, le GIEC publiera le premier volet du cinquième rapport de synthèse sur la question physique des changements climatiques. Or, la température de l’air n’augmente plus depuis 1998, celle de la mer depuis 2003. Ne vit-on pas un refroidissement en fait ? Et pourquoi la température sur le globe semble-t-elle se stabiliser depuis quinze ans, malgré des émissions record de gaz à effet de serre ?
Cette « pause », qui ne remet pas en question le réchauffement global à long terme, pourrait être liée à un refroidissement du Pacifique tropical, selon une étude publiée récemment dans la revue Nature.
Mais avant d’en parler, réalisons un point sur un enjeu majeur de la recherche climatique : la prévisibilité décennale.
La variabilité décennale
Le système climatique est le siège de variabilité à toutes les échelles de temps. Ainsi les interactions « naturelles » entre l’océan et l’atmosphère (deux fluides aux propriétés très différentes) entraînent une variabilité du climat sur des échelles de temps décennales. Ces variations décennales apparaissent très clairement sur les courbes d’évolution de la température globale depuis 1860. On peut trouver de nombreuses périodes où la température augmente peu (voir la figure ci-dessous : comparer la période 1997-2008 avec 1987-1996 ou 1977-1989). Pourtant il semble difficile d’affirmer que la température globale ne s’est pas élevée depuis les 50 dernières années. Cette propriété de variabilité décennale est également simulée par les modèles numériques de climat les plus élaborés. Une meilleure compréhension de cette variabilité décennale est d’ailleurs le sujet d’intenses recherches qui permettront d’évaluer s’il est possible de la prévoir en initialisant habilement les modèles avec les observations disponibles.
Le même type de raisonnement peut être utilisé concernant le changement de niveau marin, qui est influencé notamment par la température.
Ainsi on ne peut pas dire que l’on vit un réchauffement, mais plutôt que la variabilité naturelle du climat masque sur des échelles de temps décennales le réchauffement climatique lié aux émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique. L’effet de ces émissions apparaît par contre plus clairement à des échelles de temps plus longues (voir la tendance sur les 50 dernières années).
Températures stabilisées depuis quinze ans
La planète vient de vivre, en moyenne, sa décennie la plus chaude depuis le début des relevés de températures, en 1880 : la température moyenne mondiale, dopée aux émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine, a grimpé de près d’un degré depuis la fin du XIXe siècle.
Toutefois, en dépit d’une concentration toujours plus élevée de CO2 dans l’atmosphère, la température moyenne en surface du globe a tendance à se stabiliser depuis quinze ans.
Plusieurs hypothèses sont explorées pour tenter d’expliquer ce « plateau », comme une éventuelle baisse d’activité solaire, une quantité plus importante de particules dans l’atmosphère, qui réfléchiraient les rayons du soleil, ou encore une absorption accrue de chaleur par les océans en profondeur.
Dans la revue Nature, des chercheurs de l’université de San Diego, en Californie (Etats-Unis), se sont intéressés particulièrement au rôle du Pacifique tropical est. Yu Kosaka et Shang-Ping Xie estiment que la prise en compte, dans les modèles climatiques, d’un récent refroidissement de la température de surface dans cette zone permet de « réconcilier les simulations climatiques et les observations ».
Le réchauffement va se poursuivre
Les deux chercheurs proposent une nouvelle méthode visant à inclure dans les données des modèles l’historique des températures de surface du Pacifique tropical est et centre. Bien que cette zone ne représente que 8,2 % de la surface du globe, « nos modèles reproduisent la température moyenne annuelle du globe remarquablement bien » entre 1970 et 2012, écrivent-ils.
Selon eux, la stabilisation actuelle ne serait que temporaire, et, même s’il peut se reproduire à l’avenir, la tendance sur plusieurs décennies au réchauffement « va très probablement se poursuivre avec l’augmentation des gaz à effet de serre ».
L’étude de la prévisibilité décennale
La prévision décennale est une thématique émergente de la recherche climatique, introduite . Elle est basée sur l’utilisation de modèles de climat, avec l’objectif de synchroniser les trajectoires climatiques simulées par ces modèles au plus près des observations pour la période passée, afin que le modèle prédise le plus fidèlement possible la trajectoire climatique dans les années futures. Un des principaux défis des expériences de prévision basées sur des modèles numériques couplant l’océan et l’atmosphère réside dans la méthode d’initialisation du système en général et de l’océan en particulier. Plusieurs techniques sont mises en oeuvre: un rappel simple en surface vers les conditions observées (température et/ou vent), un rappel vers un état océanique ré-analysé à partir d’observations disponibles ou calculé à partir d’un modèle océanique forcé, ou encore une assimilation directe des observations océaniques disponibles dans le modèle climatique couplé. Le choix peut être vu comme un compromis entre l’origine physique de la variabilité décennale du système et le développement technique associé.
En France, l’IPSL a participé récemment au premier exercice international de prévisions du climat à l’échelle de temps décennale. Dans le cadre du projet européen SPECS récemment financé, 20 laboratoires européens se sont regroupés pour essayer d’améliorer ce premier exercice de prévisibilité. Un certains nombre de configurations liées à ces techniques d’initialisation et de prévisions devront être développées et testées : augmentation de la fréquence des prévisions, tests en résolution, génération d’ensemble pour simuler le bruit atmosphérique et l’incertitude sur les données, etc.
Par Gillali Abdelaziz.