La recherche du savoir dans la doctrine islamique
La recherche du savoir occupe une place centrale dans la doctrine islamique. Les premiers versets du Coran annoncent au Prophète Muhammad que Dieu vient, par la révélation du Livre saint de l’islam, «apprendre à l’homme ce que celui-ci ne savait pas»(1). Le thème du «savoir» (‘ilm) revient à de nombreuses reprises dans le texte coranique, comme dans la tradition prophétique (sunnah). Selon le hadîth, «la recherche du savoir est une obligation religieuse pour tout musulman»(2), et les savants sont même considérés comme les «héritiers des prophètes»(3). Bien évidemment, le savoir dont il s’agit est d’abord le ‘ilm at-tawhîd, le savoir d’ordre métaphysique sur l’unicité de Dieu et sur les conséquences qui en découlent pour la nature de l’homme, la pratique de sa religion, et son comportement dans la société. En son sommet spirituel, ce savoir se transforme en une attention constante qui veille à ne rien associer à Dieu, considéré comme la source et le but de toute connaissance. Par la suite, le savoir central relatif à l’unicité divine s’est entouré d’une multitude de «savoirs religieux» (‘ulûm dîniyyah) rendus nécessaires pour la bonne compréhension du message coranique(4). Au cours des premiers siècles de l’islam, ces savoirs ont été progressivement codifiés, et sont ainsi devenus de véritables savoirs techniques, c’est-à-dire des «sciences» faisant un large appel à la raison, en plus du donné de la révélation. L’usage de la raison, non seulement dans le domaine religieux, mais encore dans les diverses circonstances de la vie quotidienne, a été légitimé très tôt, par l’enseignement du Prophète à l’un de ses compagnons, Mu’âdh Ibn Jabal, envoyé comme ambassadeur en Abyssinie. Alors que le Prophète lui demandait comment il agirait dans des situations qui n’étaient pas explicitement mentionnées par le Coran et la sunnah, Mu’âdh répondit qu’il recourrait à l’effort personnel de réflexion (ijtihâd), et le Prophète fut très satisfait de cette réponse(5). Selon les mots mêmes du hadîth, l’ijtihâd a une valeur intrinsèque, puisqu’il porte avec lui une «récompense divine», indépendamment de son résultat(6). L’ijtihâd permit, entre autres choses, l’élaboration du droit musulman (fiqh) pendant la période des Omeyyades et des Abbassides.
Mais qu’en est-il du «savoir» qui n’est pas explicitement relié au religieux ? Quand le Prophète conseille à ses compagnons de «chercher le savoir jusqu’en Chine»(7), fait-il référence exclusivement à l’enseignement alors délivré par la révélation du Coran et la sunnah, ou bien fait-il allusion à tous les savoirs ? Il est clair qu’il existe un domaine du savoir qui se trouve en dehors du message de la révélation. Cela apparaît nettement dans la célèbre histoire de la pollinisation des palmiers dattiers relatée dans le hadîth. Le Prophète ayant donné le conseil de ne pas polliniser les palmiers à ses compagnons de Médine, la récolte qui s’ensuivit fut de médiocre qualité. Alors que les compagnons s’en plaignaient auprès du Prophète, celui-ci déclara : «Il s’agissait juste d’une opinion personnelle, et ne suivez pas (nécessairement) mon opinion personnelle. Mais quand je vous dis quelque chose pour le compte de Dieu, alors acceptez-le car je n’attribue aucun mensonge à Dieu.» Dans une autre version du même hadîth, le Prophète ajoute : «Vous êtes plus savants que moi sur les affaires de votre monde.»(8) Pour les commentateurs, le Prophète -qui n’est qu’un homme (bashar), même s’il est inspiré par Dieu et miraculeusement préservé de tout péché- a mené un «effort d’interprétation» (ijtihâd), sans recevoir, sur cette question, le secours de la «révélation» (wahy). Le savoir sur certaines choses du monde est donc «neutre» ou «indifférent» (mubâh) du point de vue de la loi religieuse, en l’absence de toute indication claire le concernant dans les sources textuelles.
Toutefois, le Prophète demandait à Dieu de le préserver de tout «savoir qui n’est pas utile» (‘ilm lâ yanfa’).(9) Le «savoir utile» est certainement celui qui sert à satisfaire les besoins fondamentaux des êtres humains et à assurer le développement de la société. Mais, en fin de compte, c’est, dans la perspective religieuse, d’abord et surtout celui qui permet de conduire au salut. Pour les musulmans, la révélation véhicule directement la parole de Dieu, qui transmet la connaissance symbolique des signes divins dans ce monde, de l’histoire sacrée, et des réalités de l’autre monde. Les phénomènes y sont autant de dévoilements de l’action de Dieu dans la Création, adressés à l’être humain installé comme le représentant ou lieutenant de Dieu sur Terre, pour qu’il approfondisse sa connaissance de Dieu. Le temps et l’espace, les êtres et les événements ne sont pas à eux-mêmes leur propre fin : ils sont appréciés pour leur signification qualitative, par le fait qu’ils renvoient aux fins dernières. Le monde visible lui-même (‘âlam ash-shahâdah) n’est que la trace du monde invisible (‘âlam al-ghayb), plus vaste. Pour autant, l’insistance mise sur la recherche du savoir ne pouvait pas ne pas conduire les musulmans à s’ouvrir à l’investigation sur la nature.
Par Bruno Abd-al-Haqq Guiderdoni.
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Coran 96:3-5.
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Ibn Mâjah, Suyûtî.
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Bukharî, Abû Dâwûd, Ibn Mâjah, Tirmidhî.
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Lexicographie (alfâzh) et grammaire (nahw), calligraphie (khatt), lecture clairement articulée et psalmodie du texte sacré (tartîl et tajwîd), hadîth et savoir sur les chaînes de transmissions (isnâd) et les listes de transmetteurs (tabaqât), savoir sur les «circonstances de la révélation» (asbâb an-nuzûl), sur la vie du Prophète (sîrah), enfin, savoirs du commentaire (tafsîr), de la pensée théologique (kalâm), et des principes et applications de la jurisprudence (uçul wa furû’ al-fiqh).
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Ibn Hanbal, Abû Dâwûd, Tirmidhî.
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Muslim. «Le juge qui effectue un effort d’interprétation pour rendre son jugement aura deux récompenses quand il tombe juste, et une seule quand il se trompe.».
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Bayhaqî, Ibn ‘Abd-al-Barr, Ibn ‘Adî.
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Muslim.
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Muslim.