Faouzia Charfi, la science et le courage
Symbole de la force et du courage des femmes tunisiennes, Faouzia Farida Charfi, physicienne et femme politique, s’attaque aux dogmatismes religieux.
Faouzia Farida Charfi n’a pas attendu la révolution tunisienne de 2011 pour se battre pour la liberté. Sous Bourguiba déjà, elle participa au mouvement clandestin Pespectives.
Mais dans cette révolution, la femme engagée qu’elle est restée ne pouvait que prendre sa part. D’abord dans la rue au côté de ses compatriotes. Puis au pouvoir: deux jours après la victoire du soulèvement populaire, on lui demanda d’entrer au gouvernement comme secrétaire d’État chargée de l’Enseignement supérieur. Cela n’avait rien d’un hasard pour cette physicienne qui fut maltraitée par le régime de Ben Ali.
Le temps d’engager quelques réformes, et Faouzia Charfi a démissionné pour reprendre sa liberté de militante à la base, dénonçant le projet des Islamistes au pouvoir.
Cependant, Faouzia Charfi ne s’interdit pas de revenir un jour au pouvoir, à condition de disposer, depuis ce lieu, des moyens de garantir les libertés fondamentales, individuelles, de l’éducation, de l’enseignement et de la recherche.
Comment se manifeste le dogmatisme religieux à l’encontre de la science ?
De manière insidieuse, à travers Internet, avec des sites qui peuvent être perçus comme simplement musulmans, mais qui, en fait, propagent le « concordisme musulman » qui est un double détournement, de la science et de la réligion elle-même. Ces sites offrent toute une littérature téléchargeable présentée de façon plutôt attractive, ce qui signifie qu’ils sont largement financés.
Il y a aussi des institutions, dont la Commission des miracles scientifiques du Coran et de la sunna. Basée à La Mecque et financée par les autorités saoudiennes, elle encourage toutes les recherches autour des miracles du Coran. Le but étant de prouver que la science moderne existait déjà dans le Coran, et n’a pas été construite par l’Occident.
Qui sont les promoteurs de cette littérature ?
Il est très important de savoir qu’ils ne sont ni des scientifiques ni des théologiens musulmans. Ce sont les nouveaux prédicateurs d’un Islam politique. Et c’est très dangereux car ils embrigadent les jeunes dans un état d’esprit qui interdit de réfléchir, d’être critique.
Comment peut-on s’y opposer?
D’abord en préservant l’école. Tous les fondamentalistes,?qu’ils soient musulmans, chrétiens ou autres, s’attaquent d’abord à l’école pour formater les esprits.
Y-a-t-il une difficulté particulière à alerter les citoyens puisqu’on touche ici à l’intime, à la foi?? La difficulté, c’est de montrer qu’en intégrant la science, la méthodologie scientifique, on n’est pas dans une opposition à la croyance. Malheureusement, dans le monde musulman, aujourd’hui, l’esprit dogmatique domine du fait des promoteurs de l’Islam politique dont le but n’est pas d’ordre spirituel, mais bien de prendre et garder le pouvoir. C’est fondamental de le comprendre, sachant que je fais une différence entre les théologiens dont certains peuvent être rigoristes, et ces prédicateurs d’un Islam politique, aux méthodes sophistiquées et qui ne prêchent pas que dans les mosquées.
Quelle est votre sentiment sur la situation actuelle en Tunisie ?
Elle est très critique puisque le dialogue national qui vise notamment à désigner un Premier ministre, est bloqué, malgré la très forte revendication apparue après l’assassinat du député Mohamed Brahmi en juillet. Les Islamistes n’ont pas l’intention de quitter le pouvoir, et sont en train d’utiliser les méthodes de l’ancien régime, le clientélisme, l’attaque des institutions qui garantissent le caractère républicain de la Tunisie.
Je suis inquiète mais je garde l’espoir que la Tunisie reste dans l’énergie de la révolution. Et je sais que les femmes de ce pays singulier, dans lequel elles ont un statut unique dans le monde musulman, n’accepteront pas que les forces extrémistes imposent une régression.
Par Daniel Guadarrama, publié dans lyonne.fr, le 11 novembre 2013.