« La résistance à Darwin à l’école est politico-religieuse »

Auteur d’ouvrages sur l’évolution et ancien professeur de SVT, Jean-Baptiste de Panafieu a travaillé sur l’infiltration du créationnisme dans les écoles françaises.

Sciences et Avenir : Depuis combien de temps constatez-vous une montée de la résistance à la théorie de l’évolution ?
Jean-Baptiste de Panafieu : Lorsque j’étais prof, il y a 15 ou 20 ans, en Picardie et en région parisienne, je n’ai rencontré qu’une opposition frontale d’un jeune témoin de Jéhovah. Mais je constatais déjà, chez les élèves, une méconnaissance inquiétante de la théorie de Darwin, une vision finaliste de l’évolution. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui m’ont donné envie d’écrire sur le sujet.

Depuis, il y a une recrudescence certaine du sentiment religieux ou politico-religieux en France. J’ai discuté avec des professeurs du public de toute la France : ils racontent que des élèves se lèvent au milieu du cours, en disant« je ne peux pas entendre cela, ma religion me l’interdit » et sortent. C’est très violent.

D’autres élèves leur disent qu’ils ont rempli consciencieusement leur copie pour avoir une bonne note mais qu’ils ne croient pas un mot de ce qu’ils ont écrit. Un autre exemple, c’est cet élève que j’ai filmé et qui choisit en travaux pratiques encadrés de « contredire la théorie de l’évolution ». Pour cela, il est allé chercher des documents créationnistes qui pullulent sur internet. Lorsque j’ai commencé ce tournage, il y a trois ans avec Nicolas Jouvin, je m’attendais à des résistances, pas à ce qu’elles s’expriment si fortement.

Qui sont les réfractaires ?
Principalement de jeunes musulmans, ce qui explique que le phénomène soit concentré – comme eux – dans les banlieues, par exemple autour de Paris ou de Lyon. Le lycée – qui s’est ouvert aux couches sociales qui n’y avaient pas accès auparavant – agit comme un révélateur.

Les élèves anti-évolutionnistes viennent souvent de milieux populaires qui ne connaissant pas du tout la science, ou qui la tiennent pour une simple opinion. Beaucoup fréquentent l’école coranique. De la part de ces jeunes gens, il s’agit aussi d’un défi adolescent et politique. D’un combat identitaire et anti-raciste, car pour de mauvaises raisons, ils voient Darwin, qu’ils n’ont pas lu, comme un colonialiste. Enfin, ils contestent l’autorité et le savoir. Les professeurs sont désarmés, comme ils l’ont été face aux jeunes maoïstes dans les années 70.

Pourquoi «défier l’évolution est-il devenu à la mode», selon la formule du théologien Jacques Arnould ? 

La bataille contre l’évolution est devenue, depuis une décennie, un thème de militantisme, de propagande anti-laïque pour une petite minorité fondamentaliste, très active, très virulente sur le web. Leurs arguments sont omniprésents sur de nombreux forums de discussion. C’est un angle d’attaque, comme peut l’être pour certains le port ostentatoire du voile.

Cela permet de se constituer en groupe, en communauté, de s’opposer. Peut-être les succès rencontrés par les anti-évolutionnistes aux États-Unis ont-ils stimulé les fondamentalistes musulmans. Ils se sentent obligés de s’attaquer à quelque chose qui est une description de la réalité et qui fait pratiquement l’unanimité.

L’évolution intervient en effet dans un champ dans lequel ils s’estiment compétents : l’origine de l’homme. Il y a donc confrontation directe. C’est un point à combattre absolument pour eux. Car s’ils font tomber cela, ils peuvent imposer leurs idées dans d’autres domaines. Il y a la volonté d’en arriver à un enseignement religieux en parallèle de l’enseignement laïque de l’évolution, sous prétexte que les deux se vaudraient. Ce qui a bien failli être autorisé aux États-Unis !

Qu’est ce qui offense la religion, dans cette théorie?
La part de hasard, d’imprévisibilité de l’évolution, ses phénomènes aléatoires… Si l’évolution n’est pas prévisible, d’un point de vue philosophique, cela fonde la liberté de l’homme ! Il aurait tout aussi bien pu ne pas apparaitre ! Et c’est insupportable pour la pensée religieuse qui voit son apparition comme le projet d’une entité supérieure.

Ensuite, s’il n’y a pas de « grand projet » déterminé, c’est à l’homme de construire SON projet… y compris religieux, s’il le souhaite. Pour tous les tenants d’une parole révélée totalitaire, au sens où elle prend en compte la totalité de l’existence, de ce qu’est un homme, c’est une pensée blasphématoire. Darwin, c’est le mal. L’un des élèves que j’ai filmé était persuadé que son devoir de croyant était de combattre l’évolution. De façon très touchante, il nous a dit «Si l’homme descend du singe, alors le coran dit une chose fausse et c’est ma religion qui s’écroule ! » Il ressentait un vrai malaise.

Mais il y a des créationnistes dans d’autres confessions…
Certaines églises protestantes sont également très virulentes. Sauf chez les intégristes, le catholicisme n’est plus à ce point dans la confrontation en France. Beaucoup de croyants s’accommodent très bien de leur foi et de la science. Comme cette jeune fille, qui dit dans mon film (voir extrait): « Je suis catholique, je crois en Dieu, cela ne m’empêche pas de croire en l’évolution».

Elle « croit » en l’évolution, notez ! La société française est très finaliste ou transformiste, elle pense que «la nature fait bien les choses». Elle imagine que les espèces évoluent en fonction de leurs besoins, en réponse directe aux contraintes de l’environnement et toujours dans la bonne direction. C’est rassurant de penser ainsi qu’il puisse y avoir une «mère nature» ou de «Dieu pourvoyeur» de transformations à bon escient. C’est ce qui me fait dire, de façon provocatrice, que la bataille contre l’Intelligent design –pseudo science venue des États-Unis et qui prétend que l’évolution est dirigée par une force intelligente- est en quelque sorte perdue. Sans que nous ayons mené la bataille. Et cela n’est pas si grave ! Aujourd’hui, c’est un créationnisme dur que nous affrontons! Et là, il ne faut céder sur rien !

Le meilleur moyen de lutter?
Il faut expliquer et réexpliquer ce que sont la science et les méthodes scientifiques par rapport aux idéologies religieuses. Renforcer la formation en histoire des sciences. Discuter en cours de philosophie du fait que des scientifiques se sont trompés voire ont participé à des projets monstrueux, comme l’eugénisme. Bref, apprendre à distinguer les faits des opinions.

Malheureusement certains chercheurs médiatiques ne les distinguent pas eux même, et donnent leurs opinions, à tout bout de champs, sur des sujets qu’ils ne connaissent pas ! Les gens comme Claude Allègre, par exemple, ne rendent pas service aux scientifiques ou aux profs. Il faut aussi inciter les élèves à lire et comprendre Darwin, à ne pas se contenter de la caricature de ses idées. Heureusement, j’ai rencontré des enseignants qui prennent le problème à bras le corps, organisent des sessions communes de philosophie, de SVT, d’histoire en commun, poussant les élèves dans leurs réflexions et dans leurs retranchements.

L’école laïque est-elle en danger?
Cette offensive n’est qu’un des nombreux combats qui ont toujours agité l’école. Elle s’est bien sortie de l’orage des années 70, où certains jeunes remettaient en question l’ensemble de l’enseignement ! Ce combat devrait également faiblir petit à petit… mais son extinction dépend vraiment des conditions culturelles et sociales environnantes. La contestation de la théorie de l’évolution n’est qu’un aspect d’une revendication identitaire culturelle et religieuse, qui a choisi là un bien mauvais cheval de bataille !

Propos recueillis par Rachel Mulot, première publication le 22/01/09