Comment réconcilier Islam et science moderne ?

Astrophysicien d’origine algérienne, Nidhal Guessoum a travaillé deux ans à la NASA avant d’intégrer l’Université Américaine de Sharjah, aux Émirats Arabes Unis, où il enseigne la physique et l’astronomie en même temps qu’il occupe l’honorable fonction de vice-doyen. Savant de renommée internationale, il donne des conférences dans de prestigieuses universités telles Cambridge, Oxford et Cornell, et intervient souvent dans divers organes de presses comme Al-Jazeera, la BBC, France 2, Le Monde, The Times ou encore Der Spiegel. Auteur de nombreux ouvrages publiés en arabe, en anglais, et en français, Nidhal Guessoum partage avec passion  son amour du ciel et des astres, dans une web émission éducative diffusée en langue arabe que vous pouvez retrouver à cette adresse:  http://alkawnshow.com/.

Dans votre ouvrage intitulé Islam et Science : Comment concilier le Coran et la science moderne, vous réfutez l’approche du « contenu scientifique miraculeux du Coran ». Pourriez-vous donner à nos lecteurs quelques exemples ?

Ce qu’on appelle aujourd’hui « l’Ijaz scientifique », c’est-à-dire un « contenu scientifique miraculeux du Coran » (et de la Sunna également pour certains) consiste à présenter des versets (ou des hadiths) en insistant sur le fait qu’ils contiennent des vérités scientifiques qui n’ont été découvertes que durant les 20e ou 21e siècles.

Par exemple, la vitesse de la lumière (299 792 458 mètres par seconde) serait calculable à partir de certains versets coraniques, de même que les âges de la terre, de l’univers, etc. Une recherche rapide sur Internet permet de trouver des titres comme « Le Monde subatomique dans le Coran », « La Science et la sunna : le code génétique », « La Théorie de la grande unification : ses prédictions dans le Coran », « L’Islam et la deuxième loi de la thermodynamique », etc. D’autres articles affirment que le Coran avait prédit l’invention de la radio, du télégraphe, de la télévision, du laser, ainsi que l’existence des pulsars et des trous noirs, etc.

Vous avez déclaré que la propagation de ce genre d’idées était nuisible, voire dangereuse pour l’Islam. Pourquoi ?

Ces déclarations de « miraculosité scientifique » du Coran et des Hadiths sont bourrées d’erreurs, comme je l’ai montré en détail dans mon livre. De plus, toute l’approche est erronée, aussi bien scientifiquement que religieusement. Prendre le Coran pour un livre de science c’est ne rien comprendre à la nature et à l’objectif de la révélation coranique même. Penser qu’on peut découvrir des vérités de la nature en faisant des « opérations chirurgicales ou arithmétiques » sur les versets et les hadiths, c’est ne rien comprendre à l’exploration du monde. Le Coran nous explique comment effectuer cette exploration : « Parcourez la Terre et voyez comment Dieu a commencé la création » (Al-Ankabut 20). Il ne nous dit pas d’essayer de comprendre la nature en analysant les versets.

Vous affirmez qu’il est parfaitement possible de réconcilier l’Islam et la science moderne en adoptant une approche qui s’inscrit dans l’esprit d’Ibn Rushd (Averroès). Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet ?

Le problème (plus général) de conciliation de la foi (et des textes révélés) avec la raison (et les vérités établies par la recherche) se pose dans la culture musulmane (comme dans les autres cultures religieuses) depuis des siècles. Certains pensent qu’il faut placer l’une sous le contrôle de l’autre. Mais Ibn Rushd a montré que ce sont « deux sœurs de lait », qui peuvent se disputer parfois mais ne peuvent se séparer trop longtemps. Il a expliqué comment il fallait procéder pour concilier les deux lorsqu’il y avait un désaccord, qui ne peut être qu’apparent puisque « la vérité ne peut contredire la vérité » et que les deux émanent d’une même source, Dieu le créateur et le révélateur.

La méthode, qui consiste à s’assurer des connaissances rationnelles d’un côté tout en gardant à l’esprit le fait que la révélation, qui est destinée à tous, fins savants et communs des mortels, et en tous temps, contient des niveaux multiples de discours, et qu’il y a donc souvent des manières de comprendre le texte qui permettent de l’harmoniser avec les connaissances qui sont établies de manière certaine.

J’ai expliqué que la même approche pouvait être adoptée et appliquée au domaine Islam et Science Moderne. Mon livre visait donc à montrer aussi bien les approches erronées (comme cette « miraculosite scientifique du Coran » ou « l’islamisation de la science ») que les méthodes les plus adéquates, comme cette harmonisation rushdienne.

Votre livre Histoire de l’Univers, disponible en Algérie sous le titre de قِصَّة الکَوْن, aborde la Cosmologie, ainsi que son histoire, de manière simplifiée. Selon vous, pourquoi est-il si important de rendre cette discipline accessible au grand public ?

Je dis souvent à mes étudiants que l’astronomie est le seul domaine scientifique ouvert à tous : il suffit de lever la tête vers le ciel et d’essayer de suivre les phénomènes qui s’y déroulent.

Notre livre couvre la cosmologie sur un plan scientifique, mais la présente aussi dans son développement historique, montrant l’évolution de notre conception du cosmos ainsi que le rapport des religions et des livres sacrés à l’univers.

Par ailleurs, l’astronomie a toujours constitué un domaine important pour la culture musulmane, de par son lien à plusieurs obligations religieuses (temps et direction de la prière, début et fin du mois de Ramadan, etc.). L’histoire de la civilisation arabo-musulmane est très riche en travaux astronomiques et en personnalités scientifiques qui ont contribué grandement dans ce domaine.

Vous œuvrez, selon vos propres termes, pour une ‘renaissance astronomique’ dans le monde arabe, afin que cette discipline retrouve ses lettres de noblesse. Pensez-vous qu’un retour de l’âge d’or de la civilisation arabe soit possible ?

L’âge d’or de la civilisation arabo-musulmane s’est produit lorsque la nation musulmane était la plus développée du monde. Aujourd’hui nous sommes à la traîne, il y a quelques progrès mais ils sont faibles et lents, et le reste du monde est très en avance sur nous.

Mais ce qui est plus important à mes yeux, c’est de remettre la science au centre des intérêts de notre société, pas la politique ou le football (que j’aime beaucoup mais que je classe très bas dans l’échelle des priorités sociales). Lorsque l’activité scientifique sera relayée quotidiennement dans les médias et lorsque les noms des grands scientifiques algériens ou arabes seront connus de tous (comme ceux des politiciens ou des sportifs), alors les jeunes les plus brillants se dirigeront vers la science, et nous ferons des progrès notables.

Propos recueillis par Nesrine Briki, publié dans Algérie Focus, le 15 juin 2014.