Théorie de l’évolution biologique

La théorie de l’évolution a historiquement déclenché et continue de susciter des oppositions farouches dans le monde islamique comme dans le monde chrétien.

Divers points de la théorie sont susceptibles de heurter la sensibilité de ces milieux. On pourrait les classer en quatre catégories :

  1. les grandes échelles de temps requises par le processus d’évolution renforcent la théorie « gradualiste » qui s’oppose à la compréhension littérale d’une création du monde en six jours, au même titre que les données géologiques et astrophysiques. Bien évidemment, c’est ici le littéralisme qui est en cause.
  2. Le jeu du hasard « aveugle » (qui préside aux mutations) et de la nécessité (la sélection régie par l’environnement) semble ne laisser aucune place au Dieu créateur dans le processus de création. Ici, il s’agit de comprendre que rien n’interdit à Dieu d’utiliser le hasard comme moyen de création, et de faire ainsi une lecture théiste de processus aléatoires qui ont, par ailleurs, toujours fait partie intégrante des théories matérialistes, depuis Épicure (v. 342-271 av. J.-C.) et Lucrèce (98-54 av. J.-C.).
  3. L’apparition de l’être humain sur Terre est contingente – alors que les religions monothéistes attribuent à celui-ci une place centrale dans le plan de Dieu pour le monde. Autrement dit, si l’on pouvait repartir avec une Terre primitive, la vie y apparaîtrait-elle une seconde fois, et quelque chose ressemblant à l’être humain, c’est-à-dire une créature intelligente capable de développements technologiques, finirait-elle par apparaître aussi ? Il n’y a bien sûr aucun consensus sur ce sujet parmi les spécialistes. Certains mettent en avant le fait que certaines solutions très efficaces du point de vue adaptatif, comme le cerveau, semblent privilégiées par l’évolution. Par ailleurs, le problème a reçu un nouvel éclairage de la part de l’astrophysique, avec la découverte que l’univers contient de très nombreuses planètes, et sans doute de très nombreuses « exoterres », ce qui multiplie d’autant les chances que la vie, et peut-être la vie intelligente, , puisse apparaître et s’y développer. En tout état de cause, la question de l’inévitabilité de l’apparition de l’intelligence reste très ouverte du point de vue scientifique. Ce qui a pu choquer les milieux religieux chrétiens est l’origine commune de l’être humain et des animaux, et en particulier le fait que l’Homo sapiens et les grands singes aient un ancêtre commun. Cela semblait attenter à l’élection particulière dont l’homme a fait l’objet. En revanche, on pourrait rappeler la nature duelle de l’homme dans l’anthropologie du monothéisme : « argile » et « souffle de Dieu ». ce qui fonde la nature humaine, c’est ce souffle « mystérieux », lié à la question de la connaissance et du sens, et non l’argile qu’il partage avec le reste de la création.
  4. Les critiques des milieux religieux portent également sur le fait que certaines « lectures » et « interprétations » de la théorie de l’évolution aient pu être invoquées pour justifier le matérialisme, l’eugénisme, le libéralisme, le capitalisme, le colonialisme, etc. Ici, il s’agit d’une question non pas scientifique, mais philosophique et éthique. Les théories scientifiques ne doivent pas être confondues avec leurs multiples lectures interprétatives, même s’il faut reconnaître que, pour celui qui n’a accès qu’à des versions « vulgarisées » de ces théories, la discrimination est parfois difficile à exercer.

En tout état de cause, alors que la théorie est plus que jamais l’unique cadre de compréhension du vivant, elle doit affronter aujourd’hui un regain d’opposition, principalement dans les milieux néoconservateurs américains, avec un créationnisme dur qui effectue une lecture littérale du récit biblique de la Création, et une version plus subtile, l’intelligent design ou « conception intelligente », qui s’efforce de mettre la théorie de l’évolution en défaut afin d’ouvrir la porte au créationnisme. Dans le monde islamique, la situation est, hélas ! assez comparable, avec un créationnisme qui se justifie en attribuant les travers moraux avérés ou supposés de l’Occident à la théorie de l’évolution (sans faire ici de distinction entre la théorie et ses lectures), et qui, dans une version créationniste dite « de la vieille Terre », s’oppose radicalement à l’ascendance commune de l’homme et du reste du vivant. Pourtant, il est possible d’accepter la théorie de l’évolution tout en gardant la liberté d’en faire une lecture dans laquelle Dieu utilise le hasard pour créer.

Science et religion en Islam : des musulmans parlent de la science contemporaine

Sous la direction d’Abd-al-Haqq Bruno Guiderdoni